Appel des psychologues du pôle de pédopsychiatrie de l’hôpital Montfavet – Quelle hospitalité pour l’enfant en souffrance psychique?

Quelle hospitalité pour l’enfant en souffrance psychique ?

C’est en référence au groupe « Enfance » du collectif des 39 que nous est venu ce titre pour cet Appel.

Appel à faire connaître notre situation et celle des patients dont nous assurons les soins psychiques

Appel à dénoncer la logique comptable, gestionnaire, mathématique qui écrase l’enfant et l’exproprie de sa singularité

Appel à un positionnement actif de chacun pour défendre la cause de l’enfant et de l’adolescent et son traitement psychique

Jusqu’à présent, les soignants s’appliquent à transformer en occasions créatives les difficultés qu’ils rencontrent. Ils œuvrent péniblement à la préservation de la qualité des soins.

Nous avions connaissance des appels des collègues de Saint-Anne, de Saint-Denis, du Vinatier et tant d’autres hôpitaux où l’hospitalité est mise à mal. C’est à notre tour : le rouleau compresseur des politiques budgétaires s’abat désormais sur la Pédopsychiatrie vauclusienne. Les effets de cette austérité organisée ne se sont pas fait attendre.

Les contorsions adaptatives ont atteint leurs limites : la déliaison, la destructivité et le clivage prennent le pas insidieusement, au sein des équipes fragilisées, sur la capacité de penser et d’accompagner les changements demandés par la restructuration.

Mais au nom de quelle éthique du soin ?

Constats

L’ensemble du corps professionnel se trouve emprisonné dans des injonctions paradoxales : faire plus avec moins d’une part et soigner dans un contexte qui déconstruit les possibles thérapeutiques d’autre part.

Les lieux d’accueil de la souffrance se réduisent considérablement partout sur le territoire. Cela signifie que les places d’hôpital de jour temps plein et temps partiel se réduisent, la proximité des soins disparaît, les projets de soins se délitent.

 

Nous savons que le constat est tout aussi grave dans les institutions sociales, judiciaires, éducatives et dans l’associatif.

Paradoxalement à ce constat de diminution de nos moyens humains et de nos outils de soins, nous observons au quotidien une augmentation des demandes de soins, un clivage social également de plus en plus caractérisé. Freud, déjà, prévoyait « qu’un jour la conscience sociale s’éveillera et rappellera à la collectivité que les pauvres ont les mêmes droits à un secours psychique qu’à l’aide chirurgicale ».

Où vont aller les enfants suivis actuellement et ceux qui viendront présenter leur souffrance psychique demain ? Vers qui vont-ils se tourner ? Dans quel espace-temps pourront-ils demander l’hospitalité pour leur souffrance affective ?

Devons-nous rester silencieux face au vacarme imposé ? 

D’où va-t-on ?

Il est toujours temps de se rappeler d’où l’on vient pour savoir où l’on veut aller.

En effet, que va devenir la sectorisation si chère à notre pratique ?

Comment la pédopsychiatrie pourrait-elle fonctionner « hors-sol » ? Privée de ses fonctions primordiales d’accueil, de proximité en étant au sein de la cité dans une « continuité d’existence » ?

La pédopsychiatrie est le seul espace-temps possible d’accueil d’une différence, d’un symptôme, mieux, d’un au-delà du symptôme, d’une folie que les autres lieux de l’enfance ne peuvent tolérer.

Quelles vont être les conséquences cliniques et sociales d’une telle destruction ?

La fonction publique n’a-t-elle pas vocation d’assurer à chaque enfant, à chaque adolescent un accès aux soins psychologiques ?

Prenons le temps de lire ensemble la convention internationale des droits de l’enfant (art. 3) :

« Article 3 »

  1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
  2. Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
  3. Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. »

 

A quel «  soin » se vouer ?

Le soin psychique, quand il ne se limite pas à une chimiothérapie parfois nécessaire, c’est d’abord de « l’hospitalité », de « l’empathie », c’est se souvenir avec Michaël Balint que le meilleur médicament c’est le soignant lui-même.

C’est de cette clinique dont la pédopsychiatrie est héritière, les soins consistant à mettre en récit une histoire singulière, laquelle affronte l’angoisse que tout sujet éprouve.

Aujourd’hui, la clinique est menacée de disparition, son sort est scellé dans les raccourcis comptables et les équations numériques des troubles à rectifier et non plus à entendre.

Un soin psychique requiert le respect d’une temporalité, il est une rencontre tissée afin qu’un récit se dise et s’éprouve dans une relation inscrite dans la durée et dans l’engagement à minima de deux subjectivités.

Certains des apports de la pédopsychiatrie sont irremplaçables : plus la déstructuration psychique est importante plus le soin nécessite une approche collective construite en équipe pluri-professionnelle avec la possibilité de faire exister une constellation d’intervenants à laquelle peut s’arrimer l’enfant. Il s’agit bien là d’une nécessité thérapeutique qu’une pratique libérale ne pourra mettre en œuvre.

 

Quel travail soignant ?

Les protocoles pour tout, voire parfois pour n’importe quoi : la prévention des risques qui confond sécurité et sécuritaire, des démarches qualités qui ne se préoccupent que de la forme, des soins réduits à une suite d’actes numériques, des sommations statistiques à la traçabilité et des recommandations de bonnes pratiques faisant fi du sens et de la pensée.

Quel ressort derrière cette logique administrative qui vise à figer l’insaisissable du soin ? Si les intentions demeurent voilées, les effets, eux, en sont connus : disqualification du narcissisme professionnel et épuisement.

On se savait écartelés entre travail prescrit et réalité de terrain. Nous devrons désormais penser en plus avec la variable économie de moyens qui ampute les équipes et impose des arbitrages de soin.

Pour continuer à être « pessimiste par lucidité et optimiste par volonté » (Gramsci), nous devons faire connaître notre situation et celles des patients dont nous avons la charge.

C’est à ce positionnement actif que nous souhaitons inviter l’ensemble de nos collègues à réfléchir avec nous.

Il s’agit de faire entendre les exigences de nos métiers, les conditions de leurs exercices et leur dimension éthique qui seule donne un sens à toute activité humaine.

Nous Psychologues de la Fonction publique hospitalière, exerçant dans les pôles de pédopsychiatrie du Centre hospitalier de Montfavet, signataires de ce texte, nous lançons un appel à l’adresse de tous les professionnels du soin psychique, à nos partenaires extérieurs, à la Direction de l’établissement, à nos tutelles, aux usagers de la pédopsychiatrie pour qu’ensemble nous puissions garantir les conditions d’une qualité de présence et d’accueil pour chaque enfant en souffrance psychique.

C’est de notre responsabilité à tous. Sinon quel sera le prix de notre silence pour l’enfance et l’humanité en devenir qu’elle contient ?

Fédérons-nous pour défendre :

UNE HOSPITALITE POUR L’ENFANT EN SOUFFRANCE PSYCHIQUE.

 

SIGNATAIRES :

-Florence Audet

-Cristelle Aveline-Lebon

-Tamar Brown

-Claire Capron

-Christelle Dusquenoy

-Eliane Flament

-Mélanie Gréaux

-Anne Jussreandot-Rivet

-Fabien Lani

-Aude Lefèvre

-Raphaëlle Matta

-Anthony Mlynarczyk

-Caroline Monin

-Marie Peyrat

-Audrey Queyranne

-François Roché

-Chloé Salou-Moulin

-Anne Sicot

 

 

 

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