Hôpital public : le cri de colère d’un centre psychiatrique

Hôpital public: le cri de colère d’un centre psychiatrique

Face à la situation de péril que subissent les établissements hospitaliers, le collectif pour le soin au Centre Montfavet s’inscrit pleinement dans le mouvement national visant à sauver l’hôpital public. Il dénonce cette crise sans précédent : «Les dysfonctionnements constatés ne sont pas accidentels mais le résultat d’un système délétère de gestion qui privilégie l’aspect comptable et financier au détriment du soin.»

Une situation de péril imminent sévit dans les établissements hospitaliers, liée à l’organisation du système de santé en général et celui de la santé mentale en particulier. Les décisions politiques nationales et leurs déclinaisons locales et régionales provoquent partout une pénurie de moyens, sous prétexte d’objectifs budgétaires et managériaux, et ce en dépit des rapports alarmants venus du terrain et des incidents dramatiques qui font l’actualité. Les premiers impactés sont les patients et leurs proches.

On ne dira jamais assez la souffrance d’une famille qui voit l’un des siens s’enfoncer dans la maladie mentale sans trouver l’aide professionnelle  nécessaire. La crise sociale actuelle décuple les difficultés d’une grande partie de la population de notre pays et les malades psychiques, exclus parmi les exclus, sont touchés de plein fouet. La crise des divers dispositifs d’aide sociale se conjugue aux réorganisations imposées par la baisse drastique des moyens des hôpitaux et conduit à une situation dramatique.

C’est face à cette situation que s’est constitué un collectif pour le soin au centre hospitalier de Montfavet. En tant que soignants, nous constatons chaque jour le malaise du service public de santé mentale et la dégradation de la qualité et de la pertinence des soins prodigués. Il y a quelques années encore, lorsque la psychiatrie de secteur avait les moyens de fonctionner, la plupart d’entre nous  auraient été soulagés et fiers de pouvoir proposer une prise en charge dans nos propres services à un proche. Aujourd’hui, la fierté a laissé place à la honte, celle des modalités indignes d’accueil et de prise en charge des patients : hospitalisation en sureffectif avec des malades qui se retrouvent à devoir dormir sur des matelas à même le sol, promiscuité de pathologies incompatibles qui met en danger les patients les plus vulnérables, unités de soins sans médecin pendant plusieurs jours consécutifs du fait de la pénurie médicale, sorties précipitées pour « faire de la place », délais de consultation en ambulatoire totalement inadaptés à la demande et aux besoins, crises de violence de certains patients induites simplement par le manque de disponibilité des soignants. Cela se passe bien à Montfavet, en France, en 2020. C’est insupportable.

Notre collectif s’inscrit ainsi pleinement dans le mouvement national visant à sauver l’hôpital public et le dispositif psychiatrique. Cette situation n’est malheureusement pas propre à la psychiatrie mais elle est encore plus dramatique dans notre discipline où les malades sont souvent isolés, et pour qui le soin repose avant tout sur la relation. En psychiatrie, ce qui soigne, c’est l’humain avant tout. Auparavant, un soignant pouvait prendre du temps auprès d’un patient. Aujourd’hui, il est happé par une protocolisation des soins, par une accumulation de tâches administratives redondantes et stériles visant le plus souvent à parer superficiellement à une judiciarisation de la relation soignant-soigné.

Pour amener un bénéfice thérapeutique, un processus de soin psychique doit se déployer dans une zone sinon de confort, du moins de sécurité. Or, l’hôpital n’apporte ni l’un ni l’autre pour les soignants comme pour les soignés. Le nombre d’arrêts de travail des soignants pour burn out grimpe. Depuis des années, ils ont la tête dans le guidon, souffrent en silence, perdent confiance en eux, se démotivent, lâchent prise les uns après les autres. Ils ont peur pour eux et pour les malades. Ils donnent pourtant le meilleur d’eux-mêmes tout en sachant que le système les broie eux aussi, en même temps que les patients.

Notre collectif a pour objectif de dénoncer cette crise sans précédent et de décliner au niveau local un certain nombre de revendications pour que notre établissement redevienne attractif et efficient dans sa mission de soin, ce qu’il n’est plus en raison de sa gouvernance actuelle. Les soignants sont  précarisés et au fond humiliés : non reconnaissance de la pénibilité du travail avec multiplication des signalements d’événements indésirables liés à la violence et à la pénurie de soignants; recrutement en CDD mensuel le plus souvent, renouvelables à l’envi, et à bas échelon de rémunération les nouveaux arrivants : comment prendre en charge correctement des sujets précarisés et marginalisés par leurs troubles psychiques ou des sujets souffrant psychiquement à cause de leur précarité quand on est soi-même précaire ? De même se multiplient les non remplacements des absences pour maladie ou maternité, la mise à profit des mouvements de personnels pour en réduire insidieusement les effectifs, la pérennisation des sureffectifs de lits et des lits de camp dans les unités de soin sans augmenter les effectifs soignants… Ces conditions de travail dégradées font fuir de nombreux soignants vers le privé, induisant un turn-over incessant et une perte de savoir-faire. Nos services deviennent des coquilles vides qui ne font plus illusion. Lorsque des décideurs visitent un hôpital on étale devant eux le panel théorique des dispositifs offerts, mais la plupart de ces belles structures sont rendues inopérantes par manque de moyen.

Les dysfonctionnements constatés au centre hospitalier de Montfavet, comme ailleurs, ne sont pas accidentels mais le résultat d’un système délétère de gestion qui privilégie l’aspect comptable et financier au détriment du soin. Et nous disons « stop » ! Cette tribune est un cri d’alerte, un cri de colère. Aujourd’hui, l’hôpital est rendu exsangue par la pénurie de moyens humains et financiers. Le dispositif de soin public en psychiatrie doit vivre. Nos concitoyens en ont besoin.


Signataires :

pour le collectif pour le soin au CH Montfavet :

Didier Bourgeois, psychiatre ;
Christophe Casacoli, infirmier ;
Karine Dantzer, infirmière ;
Catherine Deshays, psychiatre ;
Frédéric Dunand, aide-soignant ;
Eliane Flament, psychologue ;
Magali Trouvé, psychiatre.

Avec le soutien de :

Pascale Bianconi, infirmière ;
Christine Bonnauron, psychiatre ;
Claire Boreux, secrétaire médicale ;
Isabelle Garet, infirmière ;
Mélanie Gréaux, psychologue ;
Patrick Jouventin, psychiatre ;
Aram Kavciyan, psychiatre ;
Samia Lahya, médecin ;
Mounia Laksiri, infirmière ;
Emmanuel Loubier, infirmier ;
Nathalie Lustig, psychiatre ;
Stéphanie Martin, infirmière ;
Annabelle Montagne, psychologue ;
Fanny Plantier, infirmière ;
Audrey Vanel, psychiatre ;
Pauline Teysseyre, psychomotricienne.

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