Réécriture de la PLL 385 in L’évolution psychiatrique

Réécriture de la PLL 385 : une promotion inquiétante de la hiérarchisation des soins psychiatriques qui institutionnalise le modèle des centres experts

Écrit par Clément Fromentin

La réécriture en urgence de la proposition de loi n°385, intervenue à quelques jours de son vote au Sénat, est le résultat direct d’une mobilisation massive des psychiatres, psychologues et professionnel(le)s du soin psychique, qui a mis en échec la faiblesse des arguments scientifiques et cliniques initialement avancés. Les termes de Centres experts et de fondation Fondamental qui constituaient le cœur du texte initial disparaissent de la nouvelle PPL. Il faut s’en féliciter. Cette nouvelle version signifie-t-elle pour autant que nous ayons été entendu et que tout danger a été écarté ? Nous ne le croyons pas.

Une mobilisation inédite contre les Centres experts

Les auditions sénatoriales relatives à la PPL n°385 se sont inscrites dans un contexte de mobilisation large du champ psychiatrique, révélatrice des enjeux majeurs soulevés par ce texte. Elle s’est notamment manifestée par une pétition qui a recueilli plus de 22 000 signatures, un communiqué interassociatif et intersyndical, un Forum organisé le 3 décembre par l’Evolution psychiatrique, une tribune dans Le Monde et bien d’autres initiatives. Il importe de souligner le caractère inédit de ce rassemblement unitaire, sans précédent depuis cinquante ans.

Lors de l’audition au Sénat, certaines sénatrices opposées à la proposition de loi ont repris à leur compte les critiques formulées par cette mobilisation. La tentative d’inscrire dans le Code de la santé publique des dispositifs pilotés par une fondation privée, sans garanties suffisantes en matière de gouvernance démocratique, de transparence et de contrôle public a été rejetée. Une telle inscription législative a été perçue comme une tentative d’ingérence privée, articulé à la collecte de données biologiques au service d’intérêts financiers, échappant en partie à l’autorité de l’État. Il s’agit de la promotion d’un modèle scientifique, compatible avec le développement industriel, technologique et privé.

Ces sénatrices ont également mis en garde contre le risque d’institutionnaliser une psychiatrie à deux vitesses, opposant des structures spécialisées, concentrées dans les grands pôles hospitalo-universitaires et orientées vers la recherche, à une psychiatrie de secteur déjà fragilisée, mais assurant pourtant l’essentiel de l’accueil, du suivi et de la continuité des soins. Cette dualisation a été jugée susceptible d’accentuer les inégalités territoriales et sociales d’accès aux soins psychiatriques.

Enfin, les auditions ont relayé des critiques méthodologiques formulées dans les espaces de mobilisation professionnelle. Les arguments économiques et cliniques avancés pour justifier la proposition de loi (notamment les promesses de réduction massive des hospitalisations et d’économies budgétaires) ont été dénoncés comme reposant sur des extrapolations fragiles issues d’études limitées, insuffisantes pour fonder une politique publique à l’échelle nationale.

L’examen des 20 000 patients ayant consulté en centre expert depuis leurs créations révèle une sociologie bien différente de la population générale comme de ceux consultants quotidiennement sur les secteurs psychiatriques, démontrant l’inégalité d’accès aux centres experts, mais aussi la non-représentativité des données récoltées.

Les “soins de troisième recours” : une hiérarchisation problématique des pratiques psychiatriques, entérinant implicitement la place des centres experts dans le dispositif de soins

La réécriture de la proposition de loi, substituant à la référence explicite à des structures identifiées la notion plus générale de « soins de troisième recours en psychiatrie », prend les allures d’une révision rassurante et plus présentable du texte initial. Cette reformulation entérine toutefois une hiérarchisation des soins, directement inspirée du modèle de la médecine somatique, fondé sur la gradation technique et la spécialisation croissante des prises en charge.

Une telle hiérarchisation, à laquelle, rappelons-le, l’OMS s’oppose[1], apparaît de surcroît profondément problématique au regard des principes fondateurs de la psychiatrie publique. Elle tend à disqualifier le travail clinique des équipes de secteur en les cantonnant à un rôle de premier accueil, tandis que l’expertise diagnostique et décisionnelle serait déplacée vers des structures dites « de recours ». Cette logique transforme la complexité clinique en critère de tri plutôt qu’en objet d’un travail collectif et continu. Elle rompt avec les principes d’accueil inconditionnel, de proximité territoriale et de continuité des soins qui structurent historiquement la psychiatrie de secteur.

L’errance diagnostique des patients est la conséquence directe de la dégradation de la psychiatrie publique

Ainsi l’errance diagnostique et thérapeutique invoquée pour justifier l’institutionnalisation d’un troisième recours n’est pas le symptôme d’un déficit d’expertise mais celui de la conséquence directe du sous-financement chronique de la psychiatrie publique, de la pénurie de professionnels et de la dégradation des conditions de travail dans les structures de secteur.

La reconnaissance implicite de soins de troisième recours s’inscrit plus largement dans la promotion d’une psychiatrie dite « de précision », fondée sur un principe d’objectivation des troubles, de standardisation des diagnostics et d’alignement sur des modèles biomédicaux issus de la médecine somatique. Mais la psychiatrie n’est pas une spécialité de la médecine comme les autres. Elle repose sur des principes et des valeurs qui ne peuvent se fondre entièrement dans la médecine du corps. Sans nier l’intérêt de la recherche ni des avancées scientifiques, cette conception pose problème lorsqu’elle devient un principe organisateur du dispositif des soins psychiques et conduit à des effets paradoxaux délétères. À l’opposée, la mise en place du secteur, découlant du regard clinique ancré dans une pratique psychiatrique quotidienne, a su proposer un dispositif de soins novateur et inspirant pour le monde entier.

L’ offre de soins de la psychiatrie privée contribue elle aussi au suivi des patients souffrant de troubles psychiatriques , elle offre un libre choix aux patients , elle propose une expertise de qualité et s ‘engage dans des soins dans la continuité et le long cours, en collaboration avec les secteurs si nécessaire.

La véritable expertise, c’est celle du secteur

Cette focalisation sur l’expertise occulte une réalité centrale : l’expertise psychiatrique est déjà à l’œuvre, quotidiennement, au sein de la psychiatrie de secteur. Ce sont les équipes de secteur qui prennent en charge les patients présentant les tableaux cliniques les plus complexes, marqués par l’intrication de comorbidités psychiatriques et somatiques, de trajectoires biographiques discontinues, de précarités sociales sévères et nécessitant des soins sous-contraintes. C’est dans ce contexte, et non dans des dispositifs spécialisés centrés sur le seul diagnostic, que s’élabore une expertise clinique exigeante, fondée sur la durée, la prise en compte des déterminations subjectives et sociales, le travail collectif et l’inscription territoriale.

Sans un renforcement massif et structurel du secteur psychiatrique, aucune réforme organisationnelle ne saurait répondre aux besoins réels des patients. La psychiatrie publique de proximité constitue le socle clinique, éthique et politique du service public de santé mentale. Elle seule permet l’articulation durable entre diagnostic, suivi, ajustement thérapeutique et inscription du soin dans un tissu territorial et social. C’est à ce renforcement du secteur psychiatrique — par le recrutement de professionnels, la consolidation des centres médico-psychologiques, la continuité des prises en charge et le soutien aux collectifs de travail — que devrait se consacrer prioritairement l’action publique, car c’est là que se joue, concrètement, la réponse aux besoins réels des patient(e)s.

Le Bureau de l’Evolution psychiatrique.


[1] WHO Guidance and technical packages on community mental health services, 2021.

Forum contre le projet de loi n°385 : les vidéos sont sur la chaîne de l’Evolution psychiatrique, lien ci-dessous :

https://www.youtube.com/channel/UCgYtjXQ8oIeHBKwH_Qf5LkA/videos